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L'analyse traditionnelle de la relation entre le mouvement occidental pour la paix et l'Etat soviétique ne porte que marginalement sur leurs divergences idéologiques ou sur leurs conflits d'intérêt. Les écrits critiques sur le mouvement pour la paix, publiés en Occident, et les écrits soutenant les actions pour la paix publiés en Union soviétique, insistent généralement sur une convergence de vue ou d'intérêt (1). Les premiers prétendent que le mouvement occidental pour la paix sert les intérêts de l'Etat soviétique, tandis que les seconds affirment que la diplomatie soviétique a toujours servi les objectifs de ce mouvement. Les premiers remarquent en outre que les objectifs du mouvement occidental pour la paix sont également propagés par les médias soviétiques, tandis que ceux-ci voient dans les actions pour la paix une confirmation pure et simple du point de vue soviétique. L'existence de désaccords entre des organisations occidentales de paix et le gouvernement soviétique n'est pas niée, mais elle est toujours considérée comme mineure et sans influence décisive sur le caractère politique ou sur l'évolution même du mouvement international pour la paix. Du côté occidental, les analyses critiques du mouvement pour la paix affirment que, quelque soit l'ampleur des divergences de vues, l'action pour la paix tend à affaiblir le système de défense occidental, ce qui sert uniquement les intérêts soviétiques. Les écrits soviétiques, quant à eux, ne veulent voir, dans les critiques émanant du mouvement occidental pour la paix à l'égard de la politique du Kremlin, qu'autant de preuves supplémentaires de manipulations par des groupes anti-soviétiques et de désinformation par les médias occidentaux. Les mots 'noyautage' et 'manipulation' sont présents dans les deux analyses, apparemment opposées, comme concepts clefs. Dans la majorité des publications soviétiques, ces concepts sont utilisés pour pallier à toute critique à l'égard de l'Union soviétique. Elles permettent également à bon nombre d'observateurs occidentaux d'expliquer le degré d'organisation du mouvement pour la paix durant la dernière décennie. Selon ces observateurs, les mobilisations pour la paix se seraient faites sous l'impulsion d'organisations comme le Conseil mondial de la paix ou par les partis communistes, tous d'obédience soviétique. Selon certaines analyses occidentales, le Parti communiste de Belgique aurait, par exemple, contrôlé dans une certaine mesure les différents organes belges de coordination de paix, créés dans les années septante (2). Cette vision des choses ne résiste pas à une analyse approfondie des rapports entre les mouvements belge et soviétique pour la paix. Une convergence de vues entre les organes de coordination du mouvement belge pour la paix et le Comité soviétique de défense de la paix (organisation qui a pour objectif de défendre le point de vue gouvernemental dans le mouvement international pour la paix), existe effectivement à bien des égards. Ces organisations défendent actuellement des positions comparables concernant le renforcement de l'armement nucléaire et chimique de l'OTAN, le projet américain 'Initiative de défense stratégique', etc. Les organes belges de coordination de paix plaident, tout comme le Comité soviétique de défense de la paix, pour un développement de la détente entre l'Est et l'Ouest et pour des mesures de confiance aux niveaux militaire et politique. Tous deux proposent la création de zones régionales dénucléarisées et exemptes d'armes chimiques comme un premier pas vers un désarmement général, tandis que le gouvernement belge, en défendant ici le point de vue de l'OTAN, considère de telles initiatives régionales comme contre-productives dans la recherche d'accords globaux. Le présent Courrier hebdomadaire, en portant essentiellement sur les différences et les divergences entre les mouvements, ne cherche pas à minimiser l'importance de ces convergences. Nous supposons simplement qu'une analyse approfondie des contradictions objectives et des divergences dans le mouvement international pour la paix est essentielle à la compréhension de son évolution. Cette étude retrace, en premier lieu, les grandes lignes de l'histoire des relations entre les mouvements belge et soviétique pour la paix durant les années cinquante et soixante. Une telle analyse historique permet de mieux comprendre la spécificité des positions du 'nouveau' mouvement pour la paix, apparu à la fin des années septante. L'impact de la restructuration (perestroïka) du système soviétique sur les relations entre les mouvements belge et soviétique pour la paix est ensuite étudiée. Notre analyse se limite aux activités du mouvement pour la paix dirigées contre une guerre nucléaire possible, sans traiter des nombreuses mobilisations contre les guerres conventionnelles dans le tiers monde (Corée, Algérie, Vietnam, etc.). L'article se limite, en outre, aux deux périodes indiquées. Le mouvement pour la paix a en effet connu durant les années cinquante, soixante et quatre-vingt les mobilisations contre l'arme nucléaire les plus importantes de l'après-guerre. En conséquence, nous ne retraçons ni l'historique du Comité international pour la sécurité et la coopération européennes, créé en 1972, où les représentants belges et soviétiques ont joué un rôle primordial, ni son influence sur la conclusion de l'Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération européennes, signé à Helsinki le 1er août 1975. (1) Voir par exemple du côté occidental : J.A. EMERSON VERMAAT, Moscow Fronts and the European Peace Movement, in Problems of Communism, Vol. XXXI, novembre-décembre 1982, 43-56